Detail d’une des oeuvres d’Artiste-Ouvrier pour Le MUR (l’association Modulable Urbain Reactif), au coin de la Rue Oberkampf et de la Rue Saint-Maur dans le 11ème Arrondissement
Peux-tu nous en dire un peu plus sur ton parcours artistique et ce qui t’as inspiré pour commencer à peindre au pochoir et à devenir un street artiste ?
Le street art est arrivé assez tardivement pour moi, puisque j’ai commencé le pochoir en 1993, pour avoir des oeuvres de Klimt ou Paolo Uccello, plutôt que les posters habituels que je trouvais idiots et trop éloignés de la peinture. Donc en gros, j’ai étudié la philosophie à la Sorbonne pendant cinq ans, et un peu d’histoire de l’art, et puis j’ai eu pleins de petits boulots comme serveur, nettoyeur de trains, professeur de violon pour les enfants. J’ai commencé à peindre dans la rue, toujours plus ou moins illégalement en 2003. J’avais déjà peint un peu sur les murs, mais dans les squats à Paris où j’habitais avant.
Qu’est-ce qui te motives à peindre dans la rue ?
La rue est bien plus qu’une toile, elle n’a pas de limites en fait, donc c’est comme une œuvre commune géante qui change tous les jours, mélangée avec l’architecture et toutes les choses urbaines. J’aime peindre à la campagne aussi. Mais je n’aime pas peindre partout comme tant le font, juste pour la célébrité et en faisant semblant de faire la « révolution », puisqu’ils veulent juste vendre ce qu’ils font, comme tous les artistes doivent le faire.
Comment avez-vous développé votre style très unique ?
J’ai utilisé plusieurs couches dans les années 90, comme tous ceux qui veulent avoir de la couleur. En 2000, quand j’ai recommencé, après un très long voyage en Ethiopie, je voulais devenir pro et j’ai créé, ou trouvé une façon spéciale de découper et peindre, avec seulement deux couches, et autant de couleurs que je voulais. Bien sûr, j’ai aussi une connexion avec le 19e sicèle, et je cherche du sens, ce qui en soi est une sorte de style.
Quel est votre processus pour créer des pochoirs ?
Tout d’abord, il faut savoir ce que l’on veut peindre et pour quelle raison. Une fois que l’image est produite à l’aide d’un appareil photo et d’un crayon, il faut la photocopier et la couper. Et ensuite il faut peindre, peindre, et encore peindre. La question c’est où et pourquoi.
Où et quand avez-vous réalisé votre première œuvre de street art ?
En 2003, rue des Deux-Boules dans le 1er arrondissement à Paris, derrière le squat Electron Libre. C’était un porte en métal au milieu d’un grand mur, qui fut plus tard « toyed » (« tag on your shit » ; « tag sur ta merde »), à l’exception de ma porte – je ne sais pas pourquoi. Il y a toutes les photos sur lapanse.com
Artiste-Ouvrier peint au M.U.R. près d’Oberkampf dans le 11e arrondissement.
Le M.U.R. (detail)
Le M.U.R. (detail)
Le M.U.R. (detail)
Le M.U.R. vernissage
Il y a souvent un ton érotique aux portraits que tu realizes. Y’a-t-il une place laissée à l’érotisme dans le street art ?
Quand je fais des photos avec des mannequins, la plupart du temps elles ne sont pas professionnelles, et nous recherchons l’émotion et le sens. L’expression corporelle a peut-être l’air sensuelle, parfois même érotique, mais j’essaye de ne pas peindre des choses trop choquantes dans la rue. Pour moi, c’est beau et je ne veux pas gâcher cette beauté en étant coquin. Il faut trouver un équilibre : ce qu’il faut montrer, ce qu’il faut cacher.
Avant, tu étais écrivain, mais tu as laissé tomber les mots au profit des pochoirs. Est-ce que ta précédente carrière a une influence sur l’art que tu produis ?
Bien sûr, énormément ! Le sens est toujours impliqué. Récemment, quelqu’un m’a demandé une vieille pièce de théâtre « Les hommes sur mars », et qui sait, peut-être que je redeviendrai écrivain. Avant, je disais que mes tiroirs fleurissaient : tous les textes inconnus à l’intérieur pourrissaient et nourrissaient ma peinture.
Comment choisis-tu les murs sur lesquels tu peints ? Est-ce que tu préfères certains contextes plus que d’autres ?
Je ne fais que des ouvres légales ou semi-légales, donc en fait, j’aime qu’on m’invite. Et parfois, je demande son autorisation au propriétaire, comme je l’ai fait en Inde. J’aime beaucoup les portes, surtout celles en métal, je peux y ajouter beaucoup de détails.
A part les murs, sur quelles surfaces aimes-tu peindre et quelle a été la plus incongrue ?
Ma collection de tiroir tout d’abord, et puis le bois en général. Récemment j’ai beaucoup aimé peindre sur des surfaces transparents. Ou sur des toiles, tout peut être peint.
Artiste Ouvrier, Rue de L’Ourcq dans le 19e arrondissement
Artiste Ouvrier collabore avec Jana & Js (bas à gauche) dans le 13e arrondissement
Quel est le plus gros challenge auquel vous avez fait face en peignant dans la rue ?
J’ai fait un mur de 5 mètres de haut et je n’en étais pas très fier. Et j’avais aussi un gros arbre à peindre dans un miroir de 160cm sur 300cm. Le vent peut me jouer des tours, et la pluie bien sûr. Une fois, j’ai dû me débattre avec 15 adolescents qui voulaient me prendre mes bombes de peinture. Ça ne se passe pas toujours comme sur des roulettes.
Dites-nous en plus sur les réactions des gens face à votre travail dans la rue.
Certaines personnes âgées m’arrêtent pour me dire que c’est merveilleux, que c’est de l’art, que je devrais recommencer à peindre, ils ne voulaient pas me déranger. Ça m’est arrivé plus d’une fois, et j’ai trouvé ça vraiment adorable. Les réactions des gens sont souvent très gentilles.
Comment te sens-tu quand l’une de tes œuvres subit un acte de vandalisme ?
J’essaye de ne pas trop y penser. Ça peut être de la colère ou de la tristesse, mais il n’y a pas besoin de s’en soucier puisqu’on ne peut rien y faire. A part peut-être Mr Banksy qui met des protections en plastique sur ses murs. Trop chers pour être « toyed » j’imagine.
Travail d’extérieu à Butte-aux-Cailles dans le 13e arrondissement (détail)
Oeuvre commissionée en extérieur réalisée par Artiste Ouvrier à Butte-aux-Cailles
Peux-tu nous en dire davantage sur le collectif de pochoiristes Working Class Artists (WCA) que tu as créé en 2005 ? Qu’est-ce qui te plaît dans le fait de travailler avec d’autres street artistes ?
J’aime travailler avec d’autres artistes. WCA consiste à faire de la recherche sur la même technique que j’ai trouvée en 2000, et transmettre tout ce que je sais à de jeunes artistes, pour les voir progresser à leur manière et aller plus loin. Le bleu qui ressort de l’indigo est plus beau que l’indigo lui-même, mais sans indigo, on ne peut pas avoir de bleu. J’ai un peu joué le rôle de l’indigo dans l’histoire de WCA. Aujourd’hui, il y a plus de 15 membres de WCA, en Allemagne, à Paris et en Normandie.
Qui sont tes pochoiristes préférés ?
J’aime beaucoup M-City ; il sait comment et pourquoi il utilise le pochoir. J’ai beaucoup de respect pour Miss Tic ou Jérôme Mesnager (mais ce n’est pas du pochoir). Le Bateleur m’a inspiré, mais il est maintenant décédé. J’aime beaucoup beaucoup Ananda Nahu au Brésil, et tous les artistes anonymes sympas. Je ne sais pas, J’aime le pochoir la plupart du temps, à part les fashion victimes, ou les gens qui ne coupent pas leur pochoirs eux-mêmes.
On voit beaucoup de ton travail vers Buttes-aux-Cailles dans le sud de Paris. Qu’est-ce que tu aimes dans cet endroit, et de manière générale dans le fait de peindre à Paris ? Et peux-tu comparer à d’autres endroits dans lesquels tu as peint ?
Les gens m’ont demandé d’y retourner un peu par hasard, et ensuite j’ai eu plus de pochoirs à ces endroits plutôt qu’à d’autres où ils ont disparu, pour une raison ou pour une autre.
Qu’est-ce qu’on peut attendre de toi au festival Lezarts cette année, les 9 et 10 juin ?
En fait, j’ai seulement fait l’édition 2008 et 2010 car c’était le 10e anniversaire et nous sommes tous revenus pour faire du featuring. Cette année ça devrait être un autre artiste. Mais je ne sais pas qui va y aller.
Quelle est l’importance du street art selon toi ?
On verra. Je n’aime pas trop l’effet du « milieu ». Nous nous immisçons lentement dans l’art contemporain et ça sera le cas pour la prochaine génération, donc ça deviendra peut-être ennuyant quand ça sera officiel. J’aime peindre de manière légale, mais je n’aime pas être un mouton.
Quels sont tes projets pour 2012/2013 ?
J’ai l’intention de gagner ma vie en Inde, où il y a tant de possibilités pour peindre dans la rue et faire des expositions. J’aimerai revenir souvent à Paris mais aussi avoir l’opportunité d’exposer à New York peut-être. Ou autre part, où les gens veulent que je peigne.
Pour en savoir plus et pour entrer en contact avec Artiste-Ouvrier rendez-vous sur son site artiste-ouvrier.com et/ou son profil Facebook