Pourrais-tu s’il te plaît nous parler de ton art ?
J’ai développé mon style il y a environ huit ans. Avant cela, je sortais avec mes amis, tout le monde discutait de comment créer un personnage, du style et de la manière dont il fallait peindre, que ce soit en utilisant la 3D, etc, et je ne disais rien, je me demandais intérieurement: «qu’est-ce que je vais faire ?». J’ai grandi dans une ville appelée Guarulhos, qui fait partie du grand São Paulo, et j’ai commencé à faire du skate autour de 1994, c’est à dire quand je suis tombé dans le Street Art, mais je faisais juste des tags, ce que nous appelons pixação au Brésil. J’ai découvert le pixação grâce aux amis avec lesquels je skatais. J’en suis tombé amoureux. J’étais aveugle à tout autre type de peinture qui existait dans la rue. J’ai fait du pixação jusqu’en 2012, de 1994 à 2012.
Exemple d’un lettrage en pixação (en haut de la photo) dans l’atelier de Jerry Batista situé à São Paulo
En 2000, j’ai commencé à découvrir le graffiti [street art] qui était jusque-là toujours une chose secondaire pour moi parce que je n’ai jamais pensé que j’appartiendrai à cette culture. En 2012, j’ai vraiment commencé à peindre dans la rue, mais d’une manière différente, bien plus semblable à ce que je fais aujourd’hui. Avant cela, j’avais l’habitude de peindre de façon amateur en freestyle. Pendant des années, le graffiti était pour moi quelque chose que j’utilisais juste pour décompresser, ça n’a rien à voir avec ce que je fais aujourd’hui, avec mon métier.
Tu as étudié l’art et le design à l’école de São Paulo, Panamericana?
A propos de mes années à Panamericana, j’étais déjà intéressé par le graffiti quand j’ai commencé à étudier le design, mais je ne voyais pas de graffiti avec une vision artistique, je considérais le graffiti comme quelque chose qui était reliée au vandalisme – c’était du vandalisme, c’était faire quelque chose sur la propriété de gens qui n’allaient pas apprécier, illégalement. Je ne voyais pas ça comme quelque chose d’artistique et quand je suis entré à Panamericana – tout en travaillant déjà dans une agence de publicité, un travail que je faisais juste parce que j’avais besoin d’un emploi – ça a été quelque chose d’important parce que ça coïncidait avec les couleurs que j’utilisais et le développement de mon travail. Ce que j’ai étudié là-bas, le design, l’art ou les couleurs, tout cela a donné une vision plus large à mon travail par rapport à ce qu’il était avant. C’était très important et j’utilise les principes que j’ai appris pendant cette période dans mon travail aujourd’hui, parce que cela m’a donné une base solide.
Comment Panamericana a influencé ton travail?
Ça a été radical. Avant j’étais un amateur, vraiment un amateur. Ça relevait davantage du fait de s’exprimer tout simplement, de faire quelque chose illégalement. Je ne savais rien sur les couleurs, la composition, rien du tout. Mon travail est totalement construit autour des couleurs. Le design m’aide, comme il m’a toujours aidé jusqu’à aujourd’hui, à propos de la construction, il me permet de regarder un espace et de connaitre ses dimensions, de pouvoir l’aménager. Ça a beaucoup fait évoluer mon travail, je pense.
Pour ce qui est de mon style, ça ne vient pas tant de mes études, je pense. Je parle par exemple des formes géométriques. J’avais l’habitude de les utiliser dans le travail que je faisais dans le domaine de la publicité. Et quand bien même, je dirais que la mode a plus d’influence sur mon travail aujourd’hui que mon expérience dans la publicité et la conception graphique. Une fois sorti de ces domaines, je pense que c’est la mode qui a été la plus proche de mon travail, plus que ce que j’ai étudié à Panamericana.
Sur ton site, tu te décris comme le “plaisantin”, qu’est-ce que tu entends par là?
Mon travail reflète beaucoup qui je suis. Si vous regardez mes œuvres aujourd’hui, vous verrez le travail d’une personne heureuse, mon travail reflète des choses positives. Je ne peins pas en me disant «merde, je dois payer mes factures …», tout comme mon travail, la personne qui le voit, je veux qu’elle soit heureuse. Alors, le “plaisantin” vient peut-être de là. Je suis une personne positive, alors peut-être mon travail le reflète. Je crois que c’est plutôt ça.
A propos de la culture street art à São Paulo, peux-tu nommer des artistes en particulier qui t’ont influencé à tes débuts?
Quand j’ai commencé, tout se passait à la Galeria do Rock, un centre commercial situé en plein cœur de São Paulo, parce que c’était le point de réunion des pixadores [ceux qui manient le lettrage pixação]. Je sortais et observais ce qu’il se passait. Tu pouvais regarder les grafiteiros [graffeurs], tu les voyais et tu te disais «putain …». J’ai eu un modèle en particulier que je considérais comme une référence, un gars que je copiais quand j’ai commençé, son nom est Tinho. J’avais l’habitude de le copier. Je l’ai copié durant toute une période, entre 1999 et 2000. A cette époque, le graffiti était surtout composé de lettrages comme à New York, mais Tinho était le seul que je connaissais qui travaillait la typographie d’une manière différente de celle des États-Unis que beaucoup de gens essayaient d’imiter. Il avait aussi un personnage très simple, qui ressemblait à un ange. Donc Tinho était mon modèle en tant que graffeur et aujourd’hui, il est devenu mon ami aussi en fait. A cette époque, il m’a téléphoné et je me suis dit: «Waouh! Tinho est en train de m’appeler!” Je pensais qu’il allait dire quelque chose du style “Tu me copies mec», mais en fait pas du tout, il m’appelait pour qu’on peigne ensemble! C’était comme si une très belle japonaise m’appelait et m’invitait à sortir et me proposait de l’embrasser. T’es d’accord ? Donc Tinho était un modèle pour moi.
Leiga, artiste originaire de São Paulo, a peint un mur non loin de la station de métro Nationale dans le 13ème arrondissement de Paris. En effet, cet arrondissement est un secteur connu pour son dynamisme et son engouement pour le street art, notamment soutenu lors de nombreux projets dirigés par le maire Jérôme Coumet et son équipe.
Concernant tes oeuvres à proprement parlé, tu considères ton style comme étant composé de bulles?
J’appelle mon style “bulles”, je vais vous donner un exemple. Les bulles sont comme la partie interne d’un objet. Une bombe de peinture par exemple, si je la coupe en deux, on n’aura pas le liquide de peinture, l’intérieur aura ces formes, comme un engrenage dans l’objet. Cela serait la partie interne, mais d’une manière ludique, comme Alice au pays des merveilles par exemple. Elle vit dans un monde normal, elle tombe dans un trou – c’est tout à fait mon idée, mon travail n’est pas réel… Je dois le lire: “propositions abstraites dans lequel le spectateur voit ses propres illusions”. Ici, on a pris un liquide, mais ça peut être autre chose, donc mon idée c’est que l’intérieur des objets est formé par ces bulles. Voilà, mon travail évoque cette chute dans un monde ludique.
Mon travail est à la fois concret et abstrait et les parties se confondent, elles se mélangent. Il y a des parties concrètes qui sont solides, une partie dure dans mon travail et d’autres parties qui sont plus liquides. C’est comme des cellules qui se mélangent: parfois tu peux voir dans mon travail des pièces qui représentent une texture, tu peux sentir le mouvement, et tu peux voir aussi ces parties dures qui ressemblent à des vecteurs. Ces cellules sont comme des bulles qui se développeraient dans ces formes concrètes. A propos d’Alice au Pays des Merveilles, quand j’ai commencé à réfléchir au concept de mon art, je me référais à cette histoire pour mieux expliquer mon travail. C’est un saut dans le surréel. Lorsque je peins, les gens disent, «Mec, tu prends beaucoup de drogues, tu prends du LSD?”. Je dis non, mais c’est l’intention qui se cache derrière. C’est un travail qui laisse les gens créer leur propre monde dans leur esprit, comme un saut dans quelque chose qui n’existe pas.
Partie d’une fresque réalisée par Leiga sur les murs d’un couvent abandonné dans le cadre de la résidence artistique ZAT (Zona Autônoma Temporária) de 10 jours à São Paulo en janvier 2016
Quelle est ta démarche lorsque tu peins une oeuvre?
Tout d’abord, il s’agit toujours du même processus, que je sois dans la rue ou dans mon atelier, je commence toujours comme ça: je crée une forme dans mon esprit et elle se révélera progressivement, elle se développera à mesure que je travaille. C’est un travail qui grandit peu à peu, chaque forme que je fais se développe dans l’instant, cela n’a pas été imaginé avant, c’est spontané, et quand je découvre le travail final je suis surpris. Quand je commence à peindre, j’essaie d’écouter une musique, et là je peux commencer, cela me met dans l’état d’esprit vous savez, je mets de la musique et c’est parti.
D’où vient le terme ‘bulles’ que tu utilises pour décrire ton travail?
L’origine du nom bulles est assez drôle. J’allais peindre dans le nord de São Paulo et un ami est venu me voir et m’a dit, «Oh! tu as fait des bulles dans la rue de ma grand-mère”. J’ai cru qu’il avait confondu mon travail avec celui d’un d’autre, donc j’ai fait semblant de ne pas entendre. Puis il est venu une autre fois «Waouh! Tu as fait des bulles dans la rue de ma petite amie», mais il ne parlait pas de bulles exactement, il a utilisé un autre mot étrange. Un ami qui a appelé mon travail ‘bulles’, il n’y a pas eu besoin d’étude approfondie pour trouver un nom, ça s’est fait comme ça.
Oeuvre de l’artiste de São Paulo Tinho à la résidence artistique ZAT (Zona Autônoma Temporária)
Quelles sont les personnes et les choses qui ont beaucoup influencé ton travail?
J’aime Klimt, particulièrement, j’aime le street art, j’aime Tinho, l’artiste qui m’a influencé à mes débuts et dont j’ai déjà parlé. J’ai eu un groupe d’étude au début qui a été très important aussi. Il s’agissait de moi, Sliks, Enivo, Jerry, Tinho, Lobot, Tché, nous étions un groupe d’artistes, nous avions l’habitude de nous retrouver et on se retrouve encore tous les lundis pour parler d’art contemporain, du marché du street art. Cela m’apporte des influences, des références et aussi de nouvelles, comment dit-on, de nouvelles inspirations, «stimuli», vous savez. L’influence principale reste quand même la vie quotidienne. J’ai déjà dit que soixante-dix pour cent des gens autour de moi sont des artistes ou viennent du monde de l’art. Tu es donc avec des personnes issues du même milieu, vivant les mêmes choses. Je pense que c’est vraiment important pour un artiste de vivre avec d’autres artistes. C’est comme être peintre et trainer avec quelqu’un qui joue au hockey. Je pense que pour un artiste, il est bon d’être avec un photographe par exemple, avec d’autres artistes aussi, parce que cela te rend créatif. Quand j’ai quitté la maison de ma mère à Guarulhos, je me suis dis je vais vivre ma propre vie, ça m’a rendu très heureux. Tu vois les autres personnes qui travaillent, ça te motive, je vais le faire aussi. Donc, je pense qu’être parmi d’autres personnes vous donne du courage, cela te permet de continuer dans cette voie, qui n’est pas facile aussi.
Oeuvre réalisée illégalement par Leiga à São Paulo près d’une communauté de sans-abri
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