Text par Fernanda Hinke
Tu as commencé le graffiti en 1995. Qu’est ce qui t’a amené dans les rues ?
J’ai commencé à faire de la peinture à l’huile quand j’avais 9 ans. Quand je suis passé au graffiti, j’avais déjà plusieurs toiles chez moi. A 18 ans, mes amis et moi étions étudiants, et on ne voulait ni rester à la maison, ni peindre dans un atelier. On voulait s’amuser, et le graffiti était un bon moyen de combiner les deux. Je trouve que le graffiti permet vraiment de s’exprimer. Je n’étais pas jugé, j’étais libre, j’avais un nouveau nom, j’étais enthousiaste, je ressentais de bonnes émotions et de bonnes vibrations. C’est comme ça que j’ai découvert une nouvelle façon de peindre.
Quelles ont été tes influences ?
J’ai été influencé par la sous-culture et la culture alternative, par la musique punk et jamaïcaine. Au début, j’ai fait pas mal de petits pochoirs contre le racisme, et des messages pro-anarchie, autour de la musique jamaïcaine. Plus tard, quand j’étais à l’école, j’ai vu des graffitis sur les trains en France, et il y avait du hip-hop à la télé, et j’ai commencé le graffiti. C’était une rencontre entre le hip-hop et le mouvement punk.
Tu as été diplomé en beaux-arts à la Sorbonne, avec un master sur les arts multimedia. Tu as ton propre atelier et tu exposes dans des galeries. Comment définirais-tu ton travail à présent ?
Quand j’ai commencé le graffiti, c’était juste pour m’amuser. Plus tard, j’ai compris comment mélanger le graffiti et une peinture plus traditionnelle. Maintenant, mon travail est le résultat de ces expériences. J’aime tout mélanger, c’est d’ailleurs comme ça que le hip-hop existe, en mixant différents sons pour en faire de la musique. Je travaille de la même façon sur mes toiles, en faisant des scultpures et en faisant du graffiti.
Peinture extérieure sur une usine au Brésil
Peux-tu me dire ce qui t’intéresse en particulier dans la création de sculptures sur toiles ?
Mon premier atelier à Paris était une vieille usine. Là-bas, j’ai commencé à utiliser tout ce que je trouvais par terre. J’utilisais ce que je trouvais pour construire quelque chose, pour le mettre sur une toile. En 2007, ce fut la première fois que j’ai utilisé cette technique pour faire une sculpture sur toile, c’était encore expérimental. Je suis vraiment inquiet par la façon dont notre génération est submergée d’informations à travers internet, et par les relations virtuelles que l’on peut avoir. J’aime que les gens viennent voir mon travail en personne, afin d’avoir une vraie interaction.
Je veux que le public ait un échange avec moi. Il faut venir à ma galerie ou à mon atelier pour vraiment apprécier mon travail. C’est comme ça qu’on apprécie la sculpture. Echanger, avoir de vraies relations, c’est ce qui m’intéresse. Tous les personnages veulent avoir un échange avec les gens, afin de créer chez eux une réaction. Certaines personnes disent que mon travail est trop violent, trop agressif. Je le prends comme un compliment, c’est comme ça que je veux provoquer les gens.
Qui sont tes personnages ? Qu’est ce que tu essayes de provoquer en utilisant des images aussi fortes et agressives ?
J’ai seize personnages, qui représentent ma famille et mes amis. Derrière la violence et les couleurs énergiques, il y a un message sensible. Je veux montrer l’expression humaine, les mouvements de leur corps représentent la lutte pour l’individualité dans une politique de puissance sociale.
J’aime comparer mes peintures avec la façon de fonctionner des gouvernements. Par exemple, prenons la fin de la dynastie américaine. Un personnage va évidemment tomber, mais à cause de son égoïsme et de sa violence, il en fera tomber d’autres avec lui. Je veux pousser les gens à réfléchir à cet égoïsme dans le comportement humain.
Tu as été influencé par l’artiste Caravaggio. Dans sa vie personnelle, c’était un homme agressif, qui avait beaucoup d’ennemis, qui a eu une vie tumultueuse. Il a même tué un homme. Comment cela influence-t-il ton travail ?
Je n’ai pas d’ennemis, contrairement à Caravaggio. Mais il y a des similitudes entre sa vie et la mienne. Je ne suis pas un hooligan, je n’aime pas trop le foot, mais j’aime être dans un stade pour voir et ressentir les forces qui émanent d’un goupe, de 500 hommes hurlant, pleurant, s’évanouissant. C’est très impressionnant, c’est comme être pendant un instant dans un autre monde. Tu as ta vie de tous les jours, avec ta famille, tes amis, ton travail, mais à cet instant dans le stade, ce groupe en entier est une nouvelle force. J’aime ressentir ce comportement humain, la pression de la société, ces gens, pauvres ou riches, à cet endroit pour la même chose. De la même manière, Caravaggio peignait sur la religion, et ces peintures étaient vraiment fortes, contrastées, et sa vie était aussi forte que celle d’un hooligan.
Peinture sur un panneau publicitaire, dans la ville française d’Arromanches
Autoportrait, bas-relief à l’aérosol et à l’acrylique
Est ce que tu te sens connecté aux images que tu crées ?
Je suis à l’opposé de l’anxiété qui ressort de mon travail. Je suis quelqu’un de très calme, sauf dans les embouteillages. J’ai le même groupe d’amis depuis l’enfance, je m’entends très bien avec ma famille. Mon combat passe par mon art.
Pouquoi veux-tu te battre ?
J’ai grandi entre la banlieue et Paris, entre le ghetto et la classe moyenne, c’était un échange culturel positif pour moi. Mes premières toiles, lorsque je suis arrivé à Paris, représentaient des gens de banlieue venus à Paris le samedi pour faire la fête et s’amuser. Il y a une réelle différence entre les gens de banlieue et ceux de la ville. En général, quand les journalistes parlent des banlieues à la télé, c’est pour en montrer les aspects négatifs. J’ai fait mes toiles de la même façon que les mauvais journalistent dépeignent la violence dans les banlieues. Il y a beaucoup de choses positives là-bas, mais ce n’est jamais montré à la télé. Ma première bande de graffiti venait de mon quartier. Mon combat n’est pas un combat parlé, c’est dans mon art. Parfois, tu dois te battre. Ce n’est pas ma façon de penser, mais parfois, si tu veux qu’on te respecte, tu dois te battre.
Est ce que tu as un équilibre entre ton travail dans les rues et pour les galeries ? Qu’est ce qui les différencie pour toi ?
Mes toiles sont des grandes peintures dans un style proche du graffiti, mais ce n’est pas du graffiti. Tu peux faire autant de graffiti sur toiles que tu veux pour les galeries, mais ce ne sera jamais du graffiti. Le graffiti doit être sur un mur, dans une rue, il doit être illégal. Si je vais dans les rues, je veux ressentir ce qu’est le graffiti. Honnêtement, je n’aime pas vraiment peindre légalement sur des murs dans la rue, avec beaucoup de photographes derrière toi, il n’y a plus de liberté.
Si j’avais le temps, j’aimerais aller dans les rues pour peindre la nuit, seul ou avec ma bande, DKP, pour faire du graffiti comme il se doit.
Le M.U.R. à Oberkampf, Paris
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