Interview avec Yseult Digan YZ

Yseult Digan YZ street art Senegal“Amazone,” Senegal

YZ est une anglo-guadeloupéenne dont l’identité personnelle et la recherche de la compréhension du rapport entre la France et L’Afrique de l’Ouest l’ont amené au Sénégal, où elle travaille actuellement.

Son dernier projet « Amazone » rend hommage aux femmes qui ont combattu contre les envahisseurs et les persécuteurs au 19ème siècle. Avec des collages et des choix de placement attentifs, elle juxtapose ces guerrières héroïques aux femmes Sénégalaises d’aujourd’hui, dont elle parle ici avec Street Art Paris.

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“Amazone,” Senegal

Vous êtes-vous toujours intéressée à l’Afrique ?

Quand j’avais vingt ans, je suis venue au Sénégal en quête de mes racines afin de me construire une conscience. Ayant plusieurs identités, j’ai dû comprendre mes ancêtres pour écrire mon histoire. Le thème de l’Afrique est naturellement apparu en raison de mes origines guadeloupéennes. La culture ici est très forte, je pouvais m’identifier aux gens ici. Dès lors, j’ai voyagé dans plusieurs pays en Afrique.

Votre mère étant anglaise, vous êtes-vous aussi intéressée à l’exploration de vos origines anglaises?

Après avoir voyagé au Sénégal, je suis allée à Londres pendant deux ans pour ressentir mon côté anglais. Je suppose qu’on a besoin de savoir d’où on vient pour comprendre où on va.

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“Amazone,” Senegal

Racontez-moi votre exploration de vos origines africaines. Est-ce que votre père était fier de cette connexion avec vos descendants africains de Guadeloupe ?

Oui, il est artiste aussi et sa recherche se concentre sur l’histoire de la Guadeloupe. Par exemple, en Guadeloupe, beaucoup de descendants indiens existent, alors il travaillait sur l’imagerie indienne, qui est très minimaliste. Mais je sentais que je voulais aller en Afrique car c’était vraiment exaltant et je pense que c’était vraiment lié à mon histoire, alors c’est arrivé naturellement.

Est-ce que votre connexion avec l’Afrique provient des histoires de votre famille et de l’héritage que vous a donné votre père ?

Oui, je pense que c’est un peu instinctif. Je sentais que je devais aller en Afrique, puisque j’ai eu quelque chose à voir avec ce continent, ces pays. J’ai eu une photographie de mon grand-père et quand tu vois une image où ton grand-père est noir et que tu es blanc, tu as besoin de réponses. Je voulais me prouver que je venais aussi de cette partie de la famille. Je n’étais pas seulement anglaise ou française, je venais aussi de la Guadeloupe.

 

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Amazone,” Senegal

Où vous a amené cette recherche, étant donné que vous avez déménagé au Sénégal ?

Je sens que je m’identifie à différents modes de vie. Par exemple, la famille et la façon dont elle est installée ici ; la famille est forte et très grande, alors peut-être que c’est ça le point commun entre ce que je vis dans mon expérience personnelle et ce que je trouve ici.

Quelles sont les différences entre votre vie maintenant dans La Somone et votre vie à Montreuil, à Paris, par rapport à votre connexion avec votre communauté ?

Les gens. Ils sont plus chaleureux et on s’accorde ouvertement. Ils n’accordent pas beaucoup d’importance aux choses matérielles, mais ils ont de l’affection pour les autres.

Est-ce que ça a eu un impact sur votre mode de vie et votre mode de travail ?

Non, car j’étais toujours sensible à ça. Le consumérisme ne m’intéresse pas. Je vivais comme ça avant et c’est toujours le cas. J’ai vécu au Sénégal il y a vingt ans, donc je connais ce pays et je le comprends. Je viens depuis des années, alors c’est assez naturel. Ce n’est pas “Ouah, je vais en Afrique !”

Comment est-ce que votre vie quotidienne à La Somone a affecté la production de vos œuvres ? Est-elle différente ou est-elle toujours semblable à ce que vous avez fait en France ?

Je travaille de la même manière ici que n’importe où. Les histoires, les gens et l’énergie que je sens sont différents, bien sûr. Je m’inspire de la culture et l’histoire profonde du Sénégal. En général, j’essaie de travailler avec ce que j’ai autour de moi et de raconter une histoire liée aux lieux où je vis et je travaille. 

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Back to the Roots,” Paris

Quelles sont les nouvelles histoires qui émergent dans votre nouvelle situation et qui sont incorporées dans vos œuvres ?

Amazone, parle des femmes du passé. La femme d’aujourd’hui en Afrique travaille dans tous les domaines et elle est cruciale pour l’économie du pays.

Parlez-vous des femmes du Sénégal, ou des femmes de l’Afrique entière ?

Je m’inspire des histoires du Bénin, d’Angola, du Nigéria, du Sierra Leone et d’autres pays africains et du Sénégal, bien sûr.

Qui sont les sujets de Amazone ?

Je parle par exemple d’Aline Sitoe Diatta, une femme sénégalaise de Casamance qui a combattu contre les colonialistes français. Elle est morte très jeune à vingt-quatre ans, mais elle reste dans l’histoire du Sénégal. Seh Dong Hong Beh était le chef d’une armée de 6000 femmes dans le Dahomey. Elles se battaient avec la lance, l’épée et la flèche contre les envahisseurs. Aussi, j’utilise les portraits de femmes inconnues du 19è siècle qui portaient des vêtements traditionnels en retenant la coutume des pays africains.

Concernant les matériaux pour créer les œuvres du projet Amazone, faites-vous des collages ou bien peignez-vous directement sur les murs ?

J’utilise de l’encre indienne sur du papier en soie et puis je le colle aux murs. Ce qui est intéressant avec ce papier c’est qu’on obtient la texture du mur. Il faut que le collage corresponde parfaitement au mur, comme s’il avait été là depuis toujours.

Combien de temps est-ce que ces œuvres restent sur les immeubles ?

Ça dépend, par exemple j’ai collé un œuvre il y a deux mois et elle est toujours là, mais des fois ça reste seulement une heure. Mais c’est du papier, j’aime l’idée qu’il est éphémère.

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“Amazone,” Senegal

Dans quel but collez-vous vos œuvres sur le côté de bâtiments ? Pourquoi ne pas coller votre travail sur une toile ou l’exposer à l’intérieur ?

Quand je travaille sur un projet, il existe une sorte de triangle. Il y a l’endroit, les habitants et leurs histoires. Il y a toujours ce triangle. Pour Amazone, par exemple, je pense à ces femmes, à leurs histoires et la façon dont elles sont liées aux femmes d’aujourd’hui. Je mets leurs portraits dans les rues, notamment sur les maisons qui appartiennent à des femmes car je trouve ça intéressant d’avoir ce parallèle entre des femmes à travers les siècles. Cela ne m’intéresse pas de les mettre sur un mur tout blanc sans signification.

Je peux voir dans vos photos la valeur esthétique des endroits que vous choisissez avec les éléments architecturaux des immeubles et la texture des murs, mais que diriez-vous des récits des personnes qui vivent dans l’immeuble ? Vous êtes-vous posée des questions par rapport à ça ?

Oui, tout à fait. Habituellement quand je visite un endroit où il y a une femme dehors, je lui demande si je peux coller une œuvre là. Et ensuite je passe du temps avec elle, je discute avec elle. Je suis allée quelques fois dans une autre ville près de la mienne jusqu’à ce que les gens soient à l’aise avec moi et avec ce que je faisais.

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