Peinture sur craft de Philippe Hérard.
Si vous vous êtes déjà aventuré à Belleville, dans le 20e arrondissement de Paris, vous êtes à coup sûr passé devant l’un des « gugusses » de Philippe Hérard. L’artiste français est basé dans ce quartier – célèbre notamment pour avoir été l’un des repères d’Edith Piaf et Maurice Chevalier – depuis 25 ans. Ils nous a reçu dans son atelier pour une interview et un café.
Les histoires que Philippe Hérard colle aux murs dans la rue ou qu’il peint sur des toiles sont celles de figures anonymes placées dans des situations absurdes ou inconfortables. Les passants s’accoutument vite à sa pâte, avec une palette aux couleurs terre et des éléments symboliques : bouées, échelles et planètes. Une atmosphère morne et un sentiment d’impuissance émane de tout cela.
Lorsqu’on l’interroge sur ses influences artistiques, Hérard nous parle sans hésitation du peintre français Jean Rustin. « C’est un grand bonhomme, un très grand bonhomme. » Avec une palette sombre et un style figuratif, les personnages de Rustin renvoient une vision sombre et désenchantée de l’humain. Les hommes et les femmes qu’il peint sont bruts : leurs corps grotesques, parfois nus sont exposés sans honte dans des positions étriquées ; leurs visages vides qui regardent le spectateur droit dans les yeux communiquent une certaine résignation, une errance.
Collage de Philippe Hérard, rue de Savies à Belleville.
On retrouve en partie la même obscurité dans les travaux d’Hérard, mais de manière moins brusque. Ses « gugusses » (nom qu’il donne aux personnages présents dans presque toutes ses œuvres) apparaissent blottis, entassés, tirés par des fils, piégés par des bouées, face à des murs… Ils détournent souvent les yeux, mais lorsqu’ils sont de face, leurs visages sont assombris, de manière à ne pas imposer leur regard au spectateur. Hérard est certainement plus chaste dans sa représentation de la condition humaine. « C’est évident que je parle de moi, des autres, parce qu’on n’est pas nécessairement tous très heureux. […] Je peins déjà pour me faire du bien, parce que j’ai besoin de ça. C’est mon support pour m’exprimer. Avec les mots, j’ai un peu de mal. C’est mon moyen de dire aux autres. Et c‘est tout. Il faut que je le dise à travers une toile. » Hérard nous confie qu’il n’analyse pas ce qu’il fait. En travaillant, certaines choses lui paraissent évidentes, comme l’usage de la bouée qui lui plaisait visuellement. Toutes ses œuvres s’intitulent « cent titres », laissant à chacun une liberté d’interprétation. Mais son travail est parfois plus abrasif. Il a fait une série de portraits, « sutures », mettant en scène des visages blessés, lacérés et cousus. On peut inconsciemment y déceler une référence aux humains défigurés de Rustin.
Curieusement, Hérard n’est un street artiste que depuis 2009. « Je me suis dit “je vais essayer”. Donc tout à fait humblement, j’ai mis mes gugusses et mes bouées que je peignais sur kraft dans la rue. J’avais un truc à montrer. Ça a commencé comme ça. » Auparavant, il se contentait d’exposer son travail en galerie. La rue, permet cependant une expérience créative tout à fait différente. « C’était assez curieux parce qu’au départ j’avais l’impression de faire un truc pas bien, parce que je fais ça en journée. Et j’ai été assez surpris parce que les gens étaient très accueillants. Ça m’a vraiment motivé. Il y a un échange qui s’est créé. » Hérard a ensuite découvert que les gens prenaient sont travail en photo, le publiait en ligne, en demandant qui était l’artiste (il ne signait pas son travail au début) et proposaient des interprétations diverses et variées. « Je voyais mes gugusses dans leur environnement. Ils étaient posés au mur, j’avais dit ce que j’avais à dire. Mais les gens renvoyaient une autre image. Et chacun avait son œil. Certains de loin avec du vivant devant, ou alors tout près. C’était marrant, je voyais mes gugusses différemment, mis en situation. »
L’atelier de Philippe Hérard à Belleville, avec vélo, bouée et gugusses.
Le Street art est par essence éphémère: poser une œuvre sur un mur altère le paysage urbain. « Ce qui me plaît, c’est que quand je découpe la forme d’un gugusse, que je le colle sur un mur, il est unique. Je fais toujours une ombre. Et à partir de là, tout l’espace du mur devient le support, la scène de mon personnage. Le fait de créer de la perspective transforme le mur en toile. Le mur fait partie intégrante de mon personnage, le personnage est rentré dedans. » La tinte marron du papier kraft qu’il utilise se fond parfaitement à la couleur qui recouvre beaucoup de murs parisiens. « Je n’ai rien d’intentionnel. C’est comme avec le message. Il faut juste que je fasse ça, c’est tout. C’est comme ceux qui ont besoin d’aller chez le psy, parce que ça leur fait du bien. Moi, il faut que je le fasse. C’est du hasard tout ça, pour moi. » Le street art lui permet de sortir de son atelier et de rencontrer les gens. «En galerie, ce sont les gens qui se déplacent. La plupart des gens que je vois dans la rue ne vont pas dans les galeries. C’est un complément. Du coup, je vois des gens de manière beaucoup plus large, en tant que spectateurs. J’aime bien ça. Ça m’a appris beaucoup le street art. Ça m’a ouvert en tout cas. »
Un des pièges dans lesquels certains street artistes redoutent de tomber est celui de contenter leur “public” en leur proposant les mêmes motifs ou les mêmes ressorts narratifs à chaque fois. Lorsqu’on lui parle de ce piège et qu’on l’interroge sur l’impact que la rue a eu sur son travail, Hérard nous dit qu’il ne veut pas peindre des bouées toute sa vie. « Il ne faut pas que le travail que je fais dans la rue nuise à mon travail d’artiste en général. Il faut que je fasse attention, je veux être libre. Je ne pense pas que ça me restreint déjà mais j’y pense beaucoup parce que les gens me parlent souvent des premières choses qu’ils ont pu voir, qu’ils ont aimé, et ça reste très focalisé sur ça. J’essaye de faire la part des choses, de toujours avoir une petite référence, mais de proposer autre chose. »
Collage de Philippe Hérard, rue des Couronnes à Belleville.
Philippe Hérard fut exposé à l’art alors qu’enfant, suite à un accident dans lequel il se cassa une jambe, il fut immobilisé. Un de ses grands oncles qui était peintre et curé lui rendait visite et l’a initié au dessin. « Ça m’a plu, ça m’a pris les tripes et puis je n’ai plus fait que ça à partir de là. » Au lieu d’aller en colonie de vacances comme les autres enfants de son âge, il rejoignait son oncle dans sa 4L et peignait des paysages de la Marne, des natures mortes et des maisons en pans de bois. Grâce à cet enseignement, il développa une goût pour les peintres impressionnistes et les « classiques ». Après une courte scolarité, il arriva à Paris pour étudier l’art et le graphisme. Plus tard, il travailla avec des agences de publicité, mais quitta cette branche pour se consacrer pleinement à la peinture. Il décida de rester à Paris, après avoir créé un lien fort avec la capitale et plus tard Belleville. Philippe Hérard fait partie de l’Association des Artistes de Belleville depuis deux ans et a participé aux Portes Ouvertes des Ateliers des Artistes de Belleville. « Je me suis dit qu’au bout de 20 ans, j’avais envie de m’inscrire et de participer à une activité plus locale, d’être tamponné. » En décembre 2014, il a exposé son travail au Cabinet d’Amateurs, dans le 11e arrondissement, aux côtés de Levalet, Ender, Urbanus et d’autres. « J’ai découvert leurs travaux, et après j’ai découvert les personnes. Et j’ai eu envie de partager professionnellement. »
Outre ces racines locales, nous l’avons interrogé sur ses œuvres collées aux quatre coins du monde, et nous avons voulu savoir s’il adaptait son message en fonction des pays visités. Il sourit et nous dit : « Je ne voyage pas du tout. Ce sont les gens qui vont me coller ailleurs. Ça, c’est parti d’Eric Maréchal. Il colle dans le monde entier. Maintenant, il a une association ; il ne colle que dans les lieux compliqués comme les camps de réfugiés, ou les bidonvilles, pour amener un peu d’art dans des endroits où il n’y en a pas. Et ensuite les gens ont su ça, et de bouche à oreille ils viennent me trouver et me disent qu’ils partent en voyage. Ils collent mes travaux et ils m’envoient des photos. Je trouve ça génial parce que sans bouger de chez moi, je me retrouve avec des bouées au Tibet ou je sais où. »
Oeuvre de Philippe Hérard collée par Eric Maréchal, bidonville à Sao Paul, Brésil.
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Pour voir les travaux de Philippe Hérard, rendez-vous à la galerie Joël Knafo pour son Solo show, du 11 septembre au 10 octobre 2015.
Pour en savoir plus sur Eric Maréchal et The Art Fabric, cliquez ici.